"Impose ta voix"

Publié le par Weber Michaël

Le combat politique vient de se terminer, je ne pouvais m’exprimer avant.

Nous sommes le 18 juin 2017, il est midi. Je prends connaissance de la participation en ce second tour de la législative sur la commune. Voilà une semaine, comme à chaque échéance électorale j’appelais ma partenaire politique, Angèle. Aujourd’hui, je fais l’analyse seul ! Ni sms, ni appel.

Je me ressaisis, mais vers 18h30, à l’heure ou d’habitude nous échangions les premiers sms, mon téléphone reste silencieux ! Je mesure le vide de cette semaine qui restera ancré en moi à tout jamais !

Le premier souvenir d’Angèle remonte à 1997. J’ai 23 ans, je suis jeune Maire de Woelfling. Je soutiens Gilbert Maurer à l’élection législative, il est élu un peu dans les mêmes conditions que ce soir. C’est une surprise. Quelques semaines après, il organise une fête pour son équipe, j’en étais après m’être fait piéger par Paul Schaeffer qui m’avait confié la campagne sur Rohrbach lès Bitche. 

A ma droite, écoutant le concert, heureux de cet instant, j’aperçois Angèle et Françoise Rimlinger. On les savait collègues institutrices inséparables. Ensemble nous commençons alors une route politique que sa mort brutale rompt cette semaine !

En 2001, avec Norbert Dor, elle entre au conseil municipal de Gros Réderching où elle sera adjointe. En 2010, élue locale, investie, je propose qu’elle figure sur la liste aux élections régionales. Elle est élue Vice-Présidente, puis elle figure sur la liste sénatoriale en 2012, réélue adjointe en 2008 et 2014, candidate presque heureuse aux législatives de 2012, malheureuse à celles de 2017, candidate aux cantonales avec Paul Schaeffer en 2015.

Angèle était phénoménale, elle avait un parcours tellement atypique. Je ne parle pas seulement de la mère de 8 enfants, mais je parle de toute sa personnalité. Tout va me manquer chez elle. Elle était le rouge et le noir qu’elle portait à merveille. Je pense à ces photos qui nous faisaient rire parce qu’elle n’arrivait pas à être naturelle, alors qu’elle était capable de rire de si bon cœur. Il fallait observer cette rage qu’elle avait en elle, contre l’injustice, contre les félons (ces dernières semaines), sa fidélité à nul autre pareille, son manque d’objectivité quand il s’agissait de socialistes pas toujours exemplaires alors que je l’avais prévenue… Il fallait entrer dans son bureau qui croulait sous un capharnaüm de dossiers et de flacons de parfum. Il fallait être à la place du passager pour comprendre qu’en voiture elle était capable de prendre un sens interdit, parce qu’elle n’aime pas les contraintes que lui imposait le port des lunettes. Elle n’aimait pas faire la bise, nous n’en faisions plus car nous étions plus proche que les bises. Je l’ai entendu, crier, se passer les nerfs sur moi, pleurer aussi, et me pousser.

Je la vois aussi apaisée, quand elle parle de ses petits-enfants, à qui elle adorait lire des histoires toujours adaptées à leur caractère. Je me vois lui faire de gros yeux car jamais elle n’éteignait son téléphone, et l’entendre dire « Christine » ou « Sophie, je suis en réunion je t’appelle plus tard ». J’étais impressionné par ses crises d’asthmes si fortes et cette façon qu’elle avait d’utiliser la ventoline. 

Et puis il y avait une chose qu'elle savait faire mieux que quiconque, c'était comprendre et dénicher en chacun son talent, sa spécificité. Et surtout elle parvenait a transformer ce talent en une énorme capacité à se distinguer, se rassurer. Que l'on soit musicien, proviseur, journaliste c'était cette confiance qu'elle avait en l'Humanité. C'est ça l'HUMANISME. Avec Angèle, il n'était pas un mot, il était un espoir!

Des anecdotes de ce type j’en ai plein la tête. Nous passions du temps au téléphone, tous les jours en période de campagne.

Lundi, nous nous retrouvions à Maizières au siège du PS. Les mines sont graves, nous ne sommes pas très nombreux, chacun y va de son analyse. Sonnés, nous pensions à reconstruire, elle intervient pour faire son analyse de la situation. A l’issue de la réunion nous préparons ensemble l’analyse politique qui doit paraitre dans le RL. Puis l’on se quitte.

Je lui fais part de mes questions, de mes doutes, de mes inquiétudes. Elle me console, elle qui vient de perdre avec moins de 3% et m’envoie ce sms « Ben si, impose ta voix sinon t’es foutu… ». 24 heures plus tard elle n’était plus.
Mardi soir, je reçois un premier appel du Maire de Gros Réderching, trop tard pour décrocher. Un second du Commandant de Gendarmerie, je comprends que c’est grave, je prends connaissance de la terrible nouvelle.
C’est une terrible semaine que je vis alors. Les louanges en tous sens, je les lis. Beaucoup n’étaient pas ses amis politiques. Jamais rancunière, Angèle avait le combat politique tenace et il pouvait être physique. Je vois l’œcuménisme et j’en m’en réjouis au nom de la démocratie.

Lundi, elle avait décidé d’un vote blanc, reprochant à Macron d’avoir tué le PS. Mais je pense qu’elle aurait apprécié l’élection d’une femme ce soir, sans pouvoir le dire officiellement. 

Nul ne peut se prévaloir de l’héritage d’Angèle, nul n’a le droit d’assoir une quelconque légitimité sur son cercueil, et j’y veillerai ! 

Je sais aussi qu’aujourd’hui piétinés que nous sommes, nous reconstruirons la gauche et le PS. Il faudra le temps nécessaire. Mais nous aurons d’autres victoires, y compris dans cette circonscription, dans cette région et dans ce département.
Ces victoires, ce seront les tiennes Angèle ! Elles te seront dédiées !

En attendant, silencieux, triste, abattu que j’ai été ces derniers jours. En ce soir de défaite, avec un petit goût de satisfaction locale quand même, j’applique ton dernier conseil, ce sms laissé comme un testament, j’impose ma voix. 

« Hauts les Cœurs » comme tu disais si bien !

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